Histoire, discours et personne grammaticale
Les deux oppositions proposées par Genette engagent la notion de personne grammaticale, un peu floue lorsqu'elle est appliquée au récit : pour Genette, qui s'inspire de l'interprétation par Tzvetan Todorov de la distinction faite par Benveniste entre énonciation historique et énonciation de discours, toute prise de parole implique nécessairement un locuteur, c'est-à-dire un individu qui assume le rôle du je, quand bien même le mot « je » ne serait pas utilisé dans le texte du récit. De ce point de vue, tout récit, parce qu'il est vraiment avant tout un discours, serait forcément à la première personne : il peut toujours intervenir en disant « je », même s'il ne le fait pas forcément, ce qui permet de rendre compte de ce qu'on appelait auparavant des « intrusions d'auteur » (toutes les expressions du type « notre héros », fréquentes par exemple chez Stendhal) dans des récits à la troisième personne.
C'est sur ce point que se cristallisent un certain nombre de critiques à l'égard de Genette, et plus généralement à l'égard de la narratologie classique: alors que pour Tzvetan Todorov et Gérard Genette, un récit est d'abord un discours particulier, qui peut ensuite impliquer des discours rapportés, Émile Benveniste distinguait deux modes d'énonciation distincts (l'énonciation historique utilise les temps du passé simple et de l'imparfait, alors que le discours utilisera plutôt des temps du présent et est marqué par des marques particulières, comme les pronoms personnels de l'interlocution — le je et le tu par exemple — ou des marqueurs de type ici ou maintenant). Benveniste semble réserver la notion de discours aux discours représentés dans un récit, et non au récit dans son ensemble.
Alors que la narratologie classique considère tout récit comme un discours, et qu'à partir de là, puisque tout discours suppose un locuteur, en déduisent que tout récit suppose un narrateur, d'autres théories concurrentes, reprenant l'idée d'une énonciation historique de Benveniste, suggèrent qu'il peut y avoir des récits sans narrateur (ces récits sont produits d'abord par leurs auteurs mais peuvent construire, dans le cas de récits à la première personne, des narrateurs), qui se racontent eux-mêmes. C'est le cas par exemple de Käte Hamburger (en) dans Logique des genres littéraires, d'Ann Banfield (en) dans Unspeakable sentences ou encore de Sige-Yuki Kuroda.